Sakura
Rouler... Ecouter ce récit sur la vie et l'oeuvre de Liszt... Sa gloire puis son dépouillement le plus total, comprendre cela,
ne pas savoir encore, pour le Japon...
Penser à mes parents, en écoutant "rêve d'amour", cette pièce que mon père jouait aussi, je crois me souvenir... Les musiques qu'ils écoutaient le soir, ils étaient jeunes, nous étions petits, nous étions peut-être amis, sont entrées dans mon âme à tout jamais. Verser quelques larmes, celles qui sortent lorsqu'une situation ne nous permet plus d'être en relation, se sentir impuissants, en espèrant, priant même, qu'il sera possible de se parler en vérité, en tendresse, avant le grand départ,
ne pas savoir encore, pour le Japon...
Rentrer de la ville, après avoir rempli mon coffre de bons légumes et autres victuailles pour la semaine et puis s'arrêter voir Julien, nouveau-né, si fragile, mettre ma main près de la sienne, lui, si petit, saisissant mon doigt, lui, ouvrant les yeux et me regardant, longuement, puis s'assoupissant, tranquillement,
ne pas savoir encore, pour le Japon...
Arrivée à la maison, il m'a raconté, il écoute la radio toute la journée sur ses chantiers, j'étais pressée, il fallait faire le repas du soir, les enfants avaient faim, moi aussi,
ne pas prendre le temps, pour penser au Japon...
J'ai dormi, milles incohérences occupaient mon esprit, approcher un nouveau-né, toujours troublant, pour mon ventre, qui ne portera plus de bébé,
oubliant, de penser au Japon...
Ce matin, je l'ai entendu me parler de cette centrale nucléaire, d'un nouveau Tchernobyl possible, de son souvenir de sa deuxième fille qui, en ce temps-là, allait naître alors qu'ils jardinaient avec sa compagne, je les ai imaginés, jeunes, portant la vie, inquiets quant aux conséquences de ce nuage qui sûrement, allait arriver jusqu'à eux. Je n'ai d'abord pas aimé cette mémoire évoquée, un couple dont le vécu parfois me blesse, réussi pourtant à le faire taire, mon nombril, qui s'est soudain senti tout bête lorsque je lui ai ordonné de se ratatiner dans sa coquille,
J'ai bien voulu accueillir l'inacceptable, pour le Japon...
Après avoir consulté les médias, j'ai repris ma journée, mais tout était différent. Chaque geste rempli d'une pensée pour eux, pour ce que qu'ils ne peuvent pas faire aujourd'hui, cuisiner dans la paix, s'occuper de leur maison, la rendre jolie ou simplement s'y reposer, entendre leurs enfants rire ou se disputer, chaque seconde de vie, je l'ai savourée. J'ai senti cette évidence, cette responsabilité aussi d'être heureux, là tout de suite, sans désirer autre chose, un "autrement" ou un "ailleurs". J'ai mesuré la fragilité d'être en vie, d'avoir un toit et un repas, d'être avec ceux que j'aime autour de moi,
simplement et pleinement vivre, pour le Japon...