Danser la vie
2000 - Elia 1 an, en attendant Noé
J'ai lu, aimé et entendu les messages laissés suite à mon précédent billet.
J'aurais pu écrire personnellement à chacune mais je préfère réunir ici toutes les réponses que ces mots offerts ont suscité en moi. Il y a ce choix que j'ai fait de quitter ma ville natale pour rejoindre la vie de cet homme rencontré il y a 14 ans, arrivée ici par hasard, restée par amour. Il est certain que je n'aurais pas élevé mes enfants de la même manière à Lausanne, à Genève ou à Paris. Cette colline m'a plue, la perspective de cette vie un peu sauvage, loin de toute cette civilisation qui était devenue insupportable dans ma réalité d'alors m'avait convaincue. C'était le bon endroit. Je n'ai même pas réfléchi, je l'ai senti. J'ai vécu mes grossesses comme un rêve éveillé, mis au monde nos bébés le plus naturellement possible, allaité très longtemps, nous avons "cocooné et cododoté" nos petits et j'ai découvert ensuite que, pour certaines, cette attitude était presque une religion (je pense à la Leche League qui conseille à chacune cette façon de faire). Je ne l'ai pas fait ainsi parce qu'on me l'a dicté, je n'aurais tout simplement pas su faire autrement. Partir travailler très tôt le matin, dû au fait que nous habitons loin de tout, réveiller mes enfants pour les emmener chez une nounou, utiliser une grande partie de mon salaire pour payer la voiture supplémentaire et les frais que toute cette logistique aurait impliqué, donner des biberons de lait alors que le mien coule à volonté et que j'aime cet acte d'allaiter, vivre tous les instants de mes enfants petits était une nécessité. Ceci ramène le débat à la notion de contexte. Bébé, je n'ai pas connu le lait maternel, je me souviens de ces années où, ma mère ayant décidé de reprendre un travail après être restée à la maison quelques années, je rentrais de l'école, une clé autour du cou pour pouvoir ouvrir la porte de l'appartement familial, le silence inquiètant en attendant que quelqu'un arrive, les devoirs faits solitairement dans la pénombre, juste une petite lumière sur ma table de travail. Je ne la blâme pas, non. Je ne veux tout simplement pas vivre cela une deuxième fois, en étant dans le rôle de celle qui ne peut pas être là. Je ne blâme pas non plus celles qui font un autre choix, bien différents du mien ou de celui de ma mère, les biberons, la nounou, le travail par obligation ou par envie de faire carrière. Elles ont un autre parcours que le mien, d'autres besoins, un autre contexte, d'autres possibilités, d'autres obligations, d'autres désirs que sais-je encore? Aujourd'hui, je suis allée en course avec Bianca, les garçons partis à pied chez un copain du voisinage. Je serrais la main de ma petite à la sortie d'une parfumerie où je venais d'acheter quelques produits de cosmétique, un crayon pour les yeux, une ombre à paupière, ceux que j'achète depuis plusieurs années déjà, que je garde longtemps dans ma trousse parce que de qualité et que je les fais durer. Bianca s'est amusée à me suivre dans les rayons, elle a testé les couleurs avec moi, puis nous nous sommes dirigées vers la maison de la presse, sa petite main dans la mienne, nous étions dans la joie, elle riait, moi aussi et les gens qui nous croisaient, de nous voir ainsi, nous souriaient. Je me suis dit alors, que j'étais bien mal avisée d'avoir écrit, il y a quelques jours, que j'avais sacrifié ma vie d'artiste pour être maman. Que né ni! Ces enfants portés, allaités, chéris à qui j'accorde beaucoup de temps m'ont nourris d'une substance précieuse et infinie qui vaut bien tous les spectacles de danse, de théâtre, toutes les expositions de peinture que je ne ferai ou ne verrai peut-être jamais. Je crois que je me sens une folle envie de danser ma vie.
Ces quelques vers découvert chez elle:
"j'ai tendu des cordes de clocher à clocher ;
des guirlandes de fenêtre à fenêtre ;
des chaînes d'or d'étoile à étoile,
et je danse"
Arthur Rimbaud
2008 - Elia, Noé, Bianca