QUELQUES FLAMMES
Lorsque la pluie a commencé hier après-midi, toute en douceur, je n'étais pas mécontente. Curieux... Je crois que tout l'été, en arrière-fond, je pensais à l'hiver qui allait revenir. Ce n'est pas cohérent de ma part, puisque je parle souvent de vivre au présent. Lorsque je suis arrivée dans cette région, j'étais surprise de la préoccupation des habitants à penser l'hiver en plein été. Ici, on prépare le bois de chauffage au printemps, en été, en automne et même en hiver. Ici, tout simplement, on se bat avec les intempéries et bien plus que dans ma vie d'avant, en ville, j'en mesure les conséquences. Hier, j'étais soulagée, ma migraine venait de passer son chemin. Le corps, bien qu'épuisé, retrouvait un peu de sa souplesse. Et puis, je dois l'avouer, même si j'ai tout pour être heureuse après tout, une mélancolie m'habite et je ne peux lutter contre. Je l'apprivoise depuis des années maintenant et même si je sais qu'elle date de ma plus tendre enfance, c'est à 29 ans que j'ai commencé à m'en occuper, à mon retour du Yémen, en faisant appel à une thérapeute. Ce travail avait ouvert les premières vannes. Je n'avais pas eu le courage de continuer. C'est mon corps qui a crié 3 ans plus tard, qui a demandé que je m'occupe enfin de ces zones d'ombre, des non-dits, des secrets de famille, de tout ce qui fait qu'une personne ne va pas bien au fond. Je savais bien que j'avançais vers plus de vie, vers un début de guérison en somme. Je ne savais pas que cette re-construction allait détruire mon lien avec mes parents et mon frère, car au jour d'aujourd'hui, il n'y a plus de communication entre nous. Et voilà pourquoi, par moments, je plonge dans une sorte de coma, une demi-mort. Je pourrais me mentir, vous mentir, photographier sans cesse mes enfants, les beaux paysages environnants et faire croire à un bonheur lisse. Il y a d'un côté un vrai bonheur, mais pas seulement. Il y a une honnêteté que je dois à moi-même mais aussi aux quelques lecteurs qui viennent ici, à ceux qui ont la générosité d'y déposer un mot, une trace, qui me fait souvent avancer. Il y a une honnêteté que je dois aussi à mes enfants qui liront ces lignes plus tard, lorsqu'ils seront grands et qu'ils chercheront à comprendre pourquoi ils n'ont plus vu leurs grand-parents, leur oncle, leurs cousins, pendant un certain temps ou définitivement. Qu'est-ce que j'en sais, au jour d'aujourd'hui? Ce que je sais, c'est que j'ai enfin compris que le regard que cette famille veut porter sur moi leur appartient, que je ne suis pas CELA. Ce que je sais, c'est que je ne peux pas par ma volonté, par mes mots, les convaincre de quoi que ce soit. Je dois lâcher prise, il n'y a plus que cela. Ne rien faire. Ne rien vouloir.