INCARNATION
Comme beaucoup, j'y suis allée.
Il y a ce qui touche, globalement tout le monde, le drame, l'assassinat, bien sûr. Il y a les critiques cinématographiques, savoir si c'est un bon ou un mauvais film, si le rythme convient, si le choix des acteurs, si la musique, si la lumière.... Il y a la question de la foi, qui énerve certains, fascine d'autres.
Je suis avec eux depuis hier soir. Je crois que, comme eux, je serais restée. Il n'y a pas à magnifier la mort, la guerre, la peur, mais il me semble que c'est parfois dans des moments tragiques que les hommes se ré-unissent. Par la force de la prière, ces moines, écartelés entre leur désir de fuir et celui de rester, ont atteint une fraternité immense, puis cette évidence pour eux de rester, non pas guidés par la morale ni une idéologie, mais unis dans un Amour véritable.
"J’ai longtemps repensé à ce moment-là, ce moment où Ali Fayattia et ses hommes sont partis. Après leur départ, ce qui nous restait à faire c’était à vivre. Et la première chose à vivre c’était, deux heures après, de célébrer la vigile et la messe de Noël. C’est ce que nous avions à faire. Et c’est ce que nous avons fait. Et nous avons chanté Noël et nous avons accueilli cet enfant qui se présentait à nous absolument sans défense et déjà si menacé… Et après, notre salut a été d’avoir toutes ces réalités quotidiennes à assumer : la cuisine, le jardin, l’office, la cloche… Jour après jour. Et il a fallu nous laisser désarmés. Et, jour après jour, j’ai, et je le pense, nous avons découvert ce vers quoi Jésus Christ nous invite. C’est à naître. Notre identité d’homme va de naissance en naissance, et de naissance en naissance nous allons bien finir, nous-mêmes, à mettre au monde cet enfant de Dieu que nous sommes... Car l’Incarnation pour nous c’est de laisser la réalité filiale de Jésus s’incarner dans notre humanité. Le mystère de l’Incarnation demeure ce que nous allons vivre. C’est ainsi que s'enracine ce que nous avons déjà vécu ici, et, ce que nous allons vivre encore.
Christian de Chergé, L'invincible espérance Bayard/ Centurion, 1997, P.294