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Une envie de bonne heure
20 août 2010

Décalés, dépassés, déjantés, désenchantés - La Chute d'Icare (6)

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La vue de notre Palais (tout en haut, un mufredge, salon où l'on cause et mâche du qât)

 

Etait-ce avant ou après cette excursion dans les montagnes? Pourquoi avons-nous été invité chez lui? Dans quel quartier de la ville était-ce? Je ne sais plus...
Je sais seulement qu'il était consul de mon pays. Je suis certaine que dès mon arrivée dans sa maison, j'ai compris que nous étions chez un colon, un comme je les ai rencontré en Afrique, un genre d'homme arrogant, persuadé d'une supériorité inventée par son imaginaire, un type d'homme que je n'aime pas côtoyer, surtout pas dans cette partie du monde. Non, je n'ai pas apprécié cette rencontre avec un compatriote, qui bien que consul, me paraissait terriblement inculte et stupide. Les autres membres de l'équipe étaient à l'aise chez lui, à part Peter qui, toujours discret et assez silencieux, poli et tolérant, restait égal à lui-même. D'abord, il y a eu cet assaut au bar de ce monsieur, qui possédait une jolie collection de bouteilles d'alcools forts alors que dans ce pays, en ce temps-là en tous cas, il était formellement interdit d'en consommer et d'en avoir chez soi. Je ne pense pas que les yéménites s'intéressaient à ces breuvages d'ailleurs. Je n'aime pas l'alcool. J'aime boire un bon verre de vin, lorsque je suis en bonne compagnie, mais pas obligatoirement. Je n'en ai donc pas consommé. De retour dans notre logis, il y a eu de la musique, du reggae je crois me souvenir. Seif qui nous attendait est venu avec nous dans le "mufredge" (le salon perché en haut des maisons) et nous avons tous dansé, les fenêtres étaient ouvertes. Les nuits étaient plutôt calmes à Sanaa. Je suis certaine que ce tapage nocturne n'a pas été très apprécié du voisinage, mais personne ne nous a rien dit le lendemain matin. Je sais que pour ma part, je ne suis pas restée longtemps, je sentais que mes compagnons avaient trop bu et je n'aimais pas cette atmosphère qui ne ressemblait en rien à de la joie, plutôt un défoulement limite pétage de plomb. Je me souviens aussi, que, un autre soir, je voulais lire, me reposer dans ma chambre qui n'était pas dans les plus hauts étages. J'ai entendu quelqu'un qui frappait à la porte d'entrée, plusieurs fois. Seif était probablement sorti. Je suis donc allée ouvrir et une très belle femme somalienne m'a dit qu'elle venait voir Urs, le chef de projet. Je l'ai vue monter directement dans sa chambre, elle connaissait déjà très bien le chemin. Cette semaine-là, nous avons décidé, Peter et moi de repartir en excursion. Les autres ne voulaient pas nous suivre, ils disaient craindre une épidémie dans les plaines, ils avaient entendu ou lu quelque chose à ce sujet. Je crois que pour Peter et moi, ce fut un soulagement. La perspective de quitter trois jours les tensions grandissantes dans le groupe nous donnait des ailes. Nous avions une petite somme mise à disposition par une banque de notre ville, une banque avec un nom du moyen-orient, une banque qui participait à ce projet, un petit coup de pub certainement. Cet argent était prévu à cet effet, la location d'un véhicule avec chauffeur, indispensable au Yémen. Nous voulions partir pour Hodeidah (l'ancien port de Mokha, célèbre pour son exportation de café, d'où le nom de Moca lorsqu'il y a un arôme de café, si, si, c'est vrai). J'aurais, encore une fois, préféré partir pour le désert de Maarib, mais Peter avait déjà visité ces lieux dans le voyage précédent. Seif décidait de nous accompagner, il savait que pour nous, le voyage serait plus difficile sans ses précieuses connaissances des lieux. La destination lui plaisait,  peut-être est-ce lui qui l'avait choisie: "we can go to the sea, and I have a cousin there, he will help us find our way down there". Ok, let's go!

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Il y a eu cette descente des hauteurs somptueuses de Sanaa, il y a eu cet arrêt pour manger une viande de mouton divinement cuisinée dans des fours en terre, fondant dans la bouche, un petit restaurant sur le bord de la route, un endroit sans confort mais les saveurs de ce plat resteront gravés à jamais dans mon palais. Il y  a eu cette femme croisée sur la route et une photo prise à la dérobée par Peter, il y a eu les kilomètres de cultures de qat aménagées en terrasses au flanc des montagnes vues tout au long de la route. Seif nous disait que, avant, c'était des terres pour cultiver le café. Le qat n'a pas toujours été un euphorisant pour le plaisir des yéménites qui rêvent dès 14h00 dans leur mufredge ou dans le souk sur leurs coussins tous les après-midi de la semaine. C'était avant tout un coupe-faim pour les travailleurs éthiopiens, ceux qui récoltaient le café et donc aussi un stimulant, pour un meilleur rendement.

L'arrivée au port de Hodeidah n'a pas été magique. La chaleur nous a submergé. Après avoir retrouvé son cousin, Seif nous a emmené au bord de la mer où nous pensions pouvoir nous baigner tranquillement, trouver un peu de fraîcheur. Mais  bon sang! nous n'étions pas au bord de la Méditerranée! "Allons, Christiane, réveille-toi, sais-tu où tu es? Au Yemen, au bord de la Mer Rouge, l'eau est chaude, trop chaude, la chaleur est étouffante, les plages ne sont pas faites pour les femmes. Elles restent voilées, habillées dans leur tenue noire qu'elles ne lâchent jamais en dehors des maisons. Elles sont là mais  avec leur famille et restent sagement sous les tonnelles aménagées pour elles, elles regardent la mer et servent du thé aux hommes et aux enfants qui se baignent, na! un point c'est tout! ".

Nous avons marché longtemps sur cette plage, au bord de la mer rouge, aucune barque à l'horizon, aucun promeneur, c'est bon, allons-y, baignons-nous. L'eau était bouillante, Seif ne savait pas nager, Peter et moi avons essayé de lui apprendre, il était fou de joie, il lui semblait retrouver un peu de sa liberté lorsqu'il était enfant en Ethiopie. Soudain, sont arrivés une cinquantaine d'hommes de derrière les hautes dunes qui bordaient la plage. Nous avions été repérés, en deux temps, trois mouvements, ils nous ont entourés et cherchaient, bien entendu à me voir dans mon maillot de bain. L'horreur. Je me suis sentie comme un appât pour un banc de poisson géant. Nous avons menti, Seif a dit que j'étais sa femme et que Peter était mon frère. Nous avons réussi à sortir de l'eau, puis je me suis vite habillée et nous avons couru jusqu'à l'endroit où notre chauffeur et le cousin de Seif nous attendait, couchés confortablement sous une tonnelle qui leur permettait de mâcher  du qat en toute tranquillité. C'est tout ce dont je me souviens de cette escapade à Hodeidah, nous sommes restés deux jours? encore une fois, je ne sais plus rien. Cette destination n'était certainement pas un bon choix. La chaleur, le stress de la ville, une ville pas très belle, un port tout simplement. Il y aurait certainement eu de plus belles destinations, mais c'est ainsi, nous avions mal choisi. Il ne nous restait plus qu'à retourner sur notre montagne, terminer notre travail avant le grand retour.

Au fil des heures, je me rapprochais de Seif. Il me parlait beaucoup, était très différent qu'à Sanaa. Il avait quitté son costume de "serviteur des colons" et cette liberté semblait lui convenir. Il nous a proposé d'acheter du qat de très bonne qualité, pour le voyage du retour. Pour la première fois, j'acceptais d'en mâcher.

 

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Commentaires
C
Merci Mme zaza pour tes visites, tes commentaires qui me font du bien, qui m'aident à aller au bout de cette histoire encore douloureuse...nous avons le même âge toi et moi, et un passé si différent. Et pourtant, l'envie de se lire, de se découvrir.<br /> <br /> Merci aussi à Lune, Lali, My18stripes, Sarah Des Moulins, Laetitia. Votre présence ici est un précieux soutien pour mettre en mots ce passé, pour alléger un peu cette mémoire.<br /> <br /> Merci aux autres, pour vos visites, même muettes...
M
Tes photos sont magnifiques et ton récit captivant ! Il y a 18 ans, je mettais au monde mon 5eme enfant, je n'ai pas eu vraiment le temps de voyager... c'est un plaisir de le faire à travers tes récits ! Merci !
L
Ces immeubles de terre m'ont toujours fascine.<br /> Mais combien de drames peuvent-ils cacher?...
Une envie de bonne heure
  • la bonne heure est chaque heure et que d'aucune heure on ne peut dire qu'elle n'est pas la bonne. C'est une bon(ne) heur(e) parce que je la soulève dans mes bras. Je la prends à moi. "N'oublie pas les chevaux écumants du passé" de Christiane Singer.
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