Etre une femme au yemen "(3) la chute d'Icare, suite"
photographie prise par Peter Aerni
A mon retour, je disais souvent que les femmes "là-bas" n'étaient pas emprisonnées comme on le croyait en Europe, que c'était magnifique de les voir bouger sous leurs tissus, que toute une féminité se dégageait ainsi, de manière subtile et secrète, que les femmes dans les maisons étaient très joyeuses, dansaient, fumaient, mâchaient du Qat librement, que certaines avaient été mariées, puis avaient divorcés, que d'autres allaient à l'université.
Aujourdh'hui, je ne sais pas quoi en penser. Je suis allée me promener au bord de l'étang avec Bianca, nous avons croisé un photographe et quelques marcheurs. Je peux me promener librement, avec une robe longue ou courte, claire ou foncée, les cheveux dans le vent. Si il faisait chaud, je pourrais me baigner et personne ne m'en empêcherait. Ce n'est pas ce que vit la femme yémenite. Elle ne sort pas librement, elle n'étudie pas librement et je ne pense pas qu'elle marie un homme librement. A elles de nous le dire un jour peut-être, avec leurs mots. J'ai essayé de parler avec elles. Nous allions quelquefois, les deux autres étudiantes et moi-même dans une maison voisine, visiter une jeune femme très belle, qui nous offrait du thé ou un citron glacé (délicieuse boisson faite avec du citron vert, du sucre et des glaçons). Je ne me souviens plus de son prénom. Le soir, une autre femme la rejoignait, plus âgée, fatiguée et un peu triste. La jeune femme nous disait que c'était sa soeur, mais j'ai appris plus tard qu'il s'agissait de sa mère. La jeune fille ne sortait jamais ou rarement. Elle était issue d'une union que le père avait désapprouvé, je crois avoir compris cela. Je n'ai jamais pu parler avec la femme plus âgée, savoir son histoire. Elle passait ses après-midi dans les salons (mufredge) dans la ville, (je pense que cette famille faisait partie de la couche aisée de la population) à mâcher du qat et fumer le narguilé. Un jour, elle nous a invitées à l'accompagner dans un de ces salons. Les femmes fumaient, mâchaient, étaient un peu absentes. Au fond du salon trônait une jeune femme, apparemment une jeune accouchée, la tradition étant que, les quelques mois qui suivent l'accouchement, elle soit entourée et choyée avec des gâteaux de tous genres. Je ne sais pas où était son bébé. Tout était si difficile à comprendre. Je ne retrouvais pas la complicité que j'avais rencontrée en Afrique, avec les femmes.